Précision sur l’autorité compétente pour déterminer les dérogations aux interdictions de mutilation, destruction, capture, transport, vente et achat des espèces protégées au titre du Code de l’environnement

Posté par : Marion Crecent
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Le Conseil d’Etat dans une décision du 27 février 2019 juge que les ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture sont compétents pour déterminer les dérogations aux interdictions de mutilation, destruction, capture, transport, vente et achat des espèces animales non domestiques encadrées par l’article L. 411-1 du Code de l’environnement.

Dans une décision en date du 27 février 2019[1], le Conseil d’Etat précise qu’il « résulte des articles L. 411-1, L. 411-2, R. 411-1 et R. 411-6 du code de l’environnement qu’en confiant aux ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture la compétence pour fixer la liste des espèces animales non domestiques faisant l’objet des interdictions de mutilation, destruction, capture, transport, vente et achat prévues à l’article L. 411-1, ceux-ci ont nécessairement entendu leur confier la compétence pour y déroger, hors le cas où l’article R. 411-6 renvoie au préfet de département».

Il convient de rappeler que l’article L. 411-1 du Code de l’environnement prévoit que « I. – lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits :1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat […] ».

La décision commentée intervient suite à l’édiction d’un arrêté du 4 mai 2017 « portant modification de l’arrêté du 16 août 2016 relatif à l’interdiction du commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national ». L’arrêté met en place un régime général d’interdiction du commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national, dont sont cependant exclus les éléments suivants :

« [les] objets fabriqués après le 2 mars 1947 et avant le 1er juillet 1975 composés en tout ou partie d’ivoire ou de corne, lorsque la masse d’ivoire ou de corne présente dans l’objet est inférieure à 200 grammes ; -aux touches et tirettes de jeux en ivoire des instruments de musique à clavier ;-aux archets des instruments à cordes frottées ;-l’utilisation commerciale des spécimens d’ivoire ou de corne lorsqu’elle a pour seul but leur présentation au public à des fins scientifiques ou culturelles par des musées ou d’autres institutions de recherche ou d’information scientifiques ou culturelles ;- la mise en vente, à la vente et à l’achat, dans un délai de neuf mois à compter de la publication du présent arrêté, des couverts de table neufs, autres objets de coutellerie ou pour fumeurs fabriqués avant le 18 août 2016 à l’aide d’ivoire dont l’ancienneté est antérieure au 18 janvier 1990 ».

Par ailleurs, l’arrêté prévoit des dérogations exceptionnelles pouvant, selon les cas, être soumises à des obligations déclaratives[2].

La Fédération française de la coutellerie a engagé un recours en annulation à l’encontre de l’arrêté modificatif du 4 mai 2017 en invoquant l’incompétence de l’auteur de l’acte, la violation du principe d’égalité ainsi que l’atteinte portée à la liberté du commerce et de l’industrie.

Cependant, le Conseil d’Etat a rejeté la requête formée par la Fédération française de la coutellerie.

En effet, après avoir réaffirmé[3] la compétence des ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture pour les dérogations à la liste des espèces animales non domestiques, le Conseil d’Etat juge que :

– « Dès lors en outre qu’il n’apparaît pas possible, en l’état des techniques, de procéder de manière systématique ou même seulement fréquente à la datation des spécimens avec une précision et une fiabilité suffisante, les auteurs de l’arrêté attaqué ne sauraient être regardés comme ayant, au regard de l’objectif d’intérêt général qu’ils poursuivaient, porté une atteinte excessive aux autres intérêts en présence en posant le principe d’une interdiction du commerce des matériaux en cause ». Aussi le Conseil d’Etat exclut toute atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie en l’espèce.

– « Si la fédération requérante soutient que les auteurs de l’arrêté attaqué ne pouvaient, sans méconnaître [le principe d’égalité], refuser d’étendre aux objets de coutellerie l’exception à l’interdiction de commercialisation qu’ils ont prévue pour les touches et tirettes de jeux en ivoire des instruments de musique à clavier et les archets des instruments à cordes frottées, il ressort des pièces du dossier que l’ivoire remplit des fonctions différentes en matière de coutellerie et en matière de confection des instruments de musique en cause. La différence de situation ainsi établie est, au regard de l’objet du texte, de nature à justifier la différence de traitement. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité ne peut donc être accueilli ».

Au regard de ces éléments le Conseil d’Etat a, par sa décision du 27 février 2019, validé le régime mis en place par les ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture dans l’arrêté du 4 mai 2017 « portant modification de l’arrêté du 16 août 2016 relatif à l’interdiction du commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national ».

[1] C.E. 27 février 2019, req. n° 408118
[2] Sont soumis à la procédure déclarative prévue à l’article L. 412-1 du code de l’environnement, sur tout le territoire national et en tout temps, le transport à des fins commerciales, le colportage, l’utilisation commerciale, la mise en vente, la vente ou l’achat des objets fabriqués avant le 2 mars 1947 composés en tout ou partie :
-d’ivoire d’éléphants d’Afrique (Loxondonta sp.) ou d’éléphant d’Asie (Elephas maximus), lorsque la proportion d’ivoire dans l’objet est supérieure à 20 % en volume
-de corne de rhinocéros (Rhinocerotidae sp.), lorsque la proportion de corne dans l’objet est supérieure à 20 % en volume.
[3] CE, 30 décembre 1998, Chambre d’agriculture des Alpes-Maritimes et Centre départemental des jeunes agricultures des Alpes-Maritimes, n° 188159.

 

 

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Auteur : Marion Crecent