Précision de l’intérêt à agir en annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager du voisin immédiat

Posté par : Marion Crecent
Catégorie : Marion Crecent, Particuliers, Professionnels

Dans une décision du 20 février 2018, le Conseil d’Etat a rappelé les conditions de l’intérêt à agir en annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager du voisin immédiat du projet.

Il est prévu à l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme qu’une «personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation […]»[1].

Le juge administratif est venu préciser la notion d’intérêt à agir du requérant dans le contentieux de l’annulation des permis de construire.

En effet, dans plusieurs décisions rendues par le 13 avril 2016[2]  le Conseil d’Etat a jugé « qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; que le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ; qu’eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».

Ainsi le juge précise ici que si la situation particulière du voisin immédiat est prise en compte, il lui est imposé de faire état devant le juge d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction.

Par la suite dans de nombreuses décisions[3] le juge administratif est venu affiner sa position sur la question de l’intérêt à agir du voisin immédiat.

Dans une décision en date du 20 février 2019[4], la Haute juridiction a fait une parfaite application de sa jurisprudence antérieure.

 

Il est jugé, dans cette décision très circonstanciée, qu’il « ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Hanoe Residential Property Portfolio est propriétaire d’un immeuble bâti à proximité du terrain d’assiette objet du permis de construire attaqué. A supposer même que cette proximité ne soit pas suffisante pour permettre de la regarder comme un voisin immédiat, l’extrémité est de sa parcelle est située à quelques mètres de la parcelle assiette du projet, dont elle n’est séparée que par un espace végétalisé. Il ressort également des pièces du dossier soumis au juge du fond que le projet contesté comprend la construction d’un bâtiment d’une hauteur de 14,74 mètres, sur le côté ouest du terrain d’assiette, susceptible d’altérer la vue entièrement dégagée dont disposait la société requérante au sud-est de sa parcelle, en obstruant la perspective sur l’ancien Institut des sourdes-muettes, protégé au titre des monuments historiques. Le bâtiment à construire est de surcroît susceptible d’avoir pour effet de diminuer l’ensoleillement et la luminosité de son terrain. Eu égard à son ampleur, cet important projet de densification urbaine, prévoyant la création de 268 places de stationnement en sous-sol, risque en outre de détériorer les conditions de circulation dans le quartier et d’en aggraver les nuisances sonores, tant du fait de la circulation automobile que de l’occupation du bâtiment à construire, destiné à accueillir une résidence de jeunes actifs et une école maternelle. Le projet contesté est ainsi de nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de l’immeuble dont la société requérante est propriétaire. Par suite, le tribunal administratif de Bordeaux a inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que la requérante ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire attaqué et en rejetant sa demande comme irrecevable pour ce motif ».

Par ailleurs, cette décision est également une illustration de la prescriptions du décret en date du 17 juillet 2018[5], codifiée à l’article R 811-1-1 du Code de justice administrative[6], qui organise la prolongation jusqu’au 31 décembre 2022 de la suppression de l’appel pour certains contentieux d’urbanisme.

[1] L’ordonnance du 18 juillet 2013 (no 2013-638) modifiant les dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme subordonne l’intérêt donnant qualité pour agir au requérant à la démonstration de ce que le projet est de nature à affecter directement les conditions d’occupations, d’utilisations ou de jouissances de son bien.
[2] C.E., 13 avril 2016, req. n°390109, n°399798, n°399799, n°389801, n°389802.
[3] De manière non exhaustives concernant les décisions rendues depuis le 1er janvier 2017 : C.E.,17 mars 2017, req.n° 396362 ; C.E., 27 mars 2017, req. n°399585 ; C.E., 26 avril 2017 req. n°400625 ; C.E., 29 mai 2017, req. n° 399556 ; C.E. 11 octobre 2017, req. n°401513 ; C.E., 8 novembre 2007, req . n°403866; C.E., 9 novembre 2017, req. n°400284 ; C.E., 6 décembre 2017, req. n°405839 ; C.E., 22 décembre 2017, req. n°406731 ; C.E., 22 décembre 2017, req. n°406726 ; C.E., 18 mai 2018, req. n°412174 ; C.E., 28 novembre 2018, req. n°411057 ;  C.E. 20 février 2019, req. n°420745.
[4] C.E. 20 février 2019, req. n°420745.
[5] Décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (parties réglementaires).
[6] Article R811-1-1 du Code de l’urbanisme : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2 ».
Marion Crecent
Auteur : Marion Crecent